Une œuvre – Une histoire
Les Adieux de Psyché à sa famille, une œuvre de Marie-Guillemine BENOIST (1768-1826), huile sur toile, 111 x 145 cm. Expert : René Millet
Notre tableau est celui qu'exposa Mademoiselle Laville (plus connue sous son nom de femme mariée Marie - Guillemine Benoist), au Salon de 1791.
L’histoire de Psyché est un sujet tiré de l’âne d’or, ou les Métamorphoses d’Apulée.
Psyché était la plus belle fille du roi, si belle que nul n’osait l’épouser. Cette adoration proche du culte courrouce Aphrodite, déesse de la beauté connue pour sa jalousie. La déesse charge son fils, l’Amour de la venger en touchant de l’une de ses flèches la belle Psyché afin qu’elle tombe amoureuse d’un méprisable mortel. Hélas, l’Amour tombe lui-même amoureux de la belle Psyché et fait lors conseiller à son père, via un oracle, d’abandonner Psyché sur un rocher afin qu’elle soit enlevée par un horrible monstre.
C’est en fait Zéphyr qui l’enlève et la dépose dans un somptueux palais où des servantes invisibles répondent aux moindres désirs de Psyché. Chaque nuit, l’Amour / Eros la visite et la quitte à l’aurore. Piquée d’une curiosité exacerbée par ses sœurs, Psyché finit pourtant par chercher à voir le visage de son amant mais une goutte d’huile s’échappe de sa lampe lorsqu’elle découvre Eros endormi. Eros réveillé par la douleur, s’enfuit aussitôt.
Désespérée, Psyché cherche alors à se jeter dans une rivière mais elle y croise le dieu Pan qui lui suggère de reconquérir Eros. Aphrodite charge alors l’Inquiétude et la Tristesse de soumettre Psyché à des épreuves : trier un tas de grain, apporter de la laine des brebis à la Toison d’or à Aphrodite, rapporter de l’eau du Styx, enfermer un peu de la beauté de Perséphone dans une boîte. Dans chacune de ces épreuves, elle sera aidée par des personnages compatissants : des fourmis, un roseau, Zeus lui-même, une tour. Toujours curieuse, Psyché cependant ne résiste pas à la tentation de regarder la beauté de Perséphone et tombe aussitôt dans un profond sommeil.
Eros, entretemps guéri de sa blessure, ne peut oublier sa belle Psyché et part à sa recherche. C’est lui qui la réanime de la pointe d’une flèche, puis l’emmène dans l’Olympe où Zeus annonce officiellement leurs noces et invite Psyché à boire l’ambroisie, lui offrant ainsi l’immortalité.
Psyché et Eros donneront naissance à Hédoné, le Plaisir.
Redécouverte de l’histoire de Psyché et figuration.
Psyché signifie en grec âme mais aussi papillon. Chez les grecs, on symbolisait d’ailleurs l’âme du mort quittant le corps sous la forme d’un papillon. On lit souvent dans le récit des amours de Psyché et l’Amour les péripéties de l’âme humaine. L’ascension de Psyché dans l’Olympe permettra par exemple l’utilisation et la relecture du thème par l’art paléochrétien.
L’histoire de Psyché connaît un grand succès et se retrouve en filigrane dans les arts à travers les siècles, particulièrement à compter du XVIème siècle : les vitraux d’Ecouen, aujourd’hui conservés à Chantilly en témoignent, tout comme le roman de La Fontaine publié en 1669, la découverte de Pompéi en 1749 révèle des fresques figurant Psyché.
Les plus grands peintres figurent le sujet, souvent avec une prédilection pour la scène de Psyché découvrant l’Amour endormi, ou Psyché ranimée par le baiser de l’Amour. C’est le cas de Simon Vouet, François Bouchet en encore Charles Joseph Natoire.
Au début du XIXème siècle, une nouvelle traduction de l’Ane d’or d’Apulée est publiée et le thème prend encore en importance, illustré cette fois par Prud’hon,, Ruthxhiel, et bien sûr Canova et David.
Lumière sur Marie-Guillemine Benoist, peintre des Adieux de Psyché à sa famille.
Peintre femme, à cheval entre deux siècles, Marie Guillemine Benoist (1768-1826) a été mise en avant notamment lors de l’exposition sur « Le modèle noir » au musée d’Orsay en 2019 avec son Portrait de femme noire, exposé au Salon de 1800 et œuvre des plus célèbres du musée du Louvre depuis son acquisition en 1818.
Née dans une famille de l'administration parisienne, sensible aux Arts, elle rentre en 1781 dans l'atelier d'Elisabeth Vigée - Lebrun. Elle exposera d'ailleurs à cette époque quelques portraits au pastel ou à l'huile. C'est en 1786 qu'elle et sa sœur également artiste peintre rentrent dans l'atelier de Jacques Louis David. Il est à l'époque l'artiste qui change le cours de la peinture. Elle y étudiera l'histoire, la composition et le dessin, la force des personnages. C'est l'époque de Bélisaire, le premier véritable manifeste néoclassique.
Elle expose en 1791 ; trois tableaux qui montrent la diversité de sa culture. Sous le numéro 194, une Scène tirée de Clarisse Harlowe, le roman à la mode de Samuel Richardson paru en 1748. Issue d'une famille enrichie qui cherche à s'élever dans l'échelle sociale, Clarissa Harlowe est contrainte par ses parents à épouser un aristocrate. Elle s'enfuit avec le libertin Lovelace qui l'a séduite. Après maintes péripéties et malheurs, la jeune fille meurt. Sa vertu est reconnue par tous. Lovelace se laisse tuer dans un duel.
Sous le numéro 273, L'Innocence entre le Vice et la Vertu (ancienne collection Decroy, vente anonyme, Paris, Hôtel des ventes du Palais, 9 décembre 2000, Mes Poulain - Le Fur, n°41, reproduit p. 29), thème popularisé au XVIIIème siècle par les écrits du comte de Shaftesbury.
Enfin, elle expose également Les Adieux de Psyché à sa famille. Le sujet fut inspiré à l'artiste par Charles Albert Demoustier (Villers - Coterêts 1760 - Paris 1801) un poète et dramaturge avec qui elle entretint une relation amoureuse durant une dizaine d'années. Un temps avocat, Demoustier se rendit célèbre auprès des amateurs de poésie par Les lettres à Emilie sur la mythologie en six volumes, écrites et publiées entre 1786 et 1798. Plusieurs fois réimprimées, ces lettres censées enseigner la mythologie à une jeune femme, sont plutôt considérées comme des lettres d'amour du poète à une jeune élève peintre, dont l'identité est à peine voilée sous le pseudonyme d'Emilie. Dès la parution du premier volume en 1786, on reconnut qu'il s'agissait de Marie-Guillemine Laville - Leroux.
C'est sous l'influence de Demoustier que Marie-Guillemine peignit ce tableau, puisant le sujet de Psyché dans les Lettres LII à LVII . Demoustier refusa d'épouser la jeune femme.
Vivian P. Cameron, (Opus cité supra), cite un dessin préparatoire pour notre tableau.
Le tableau fut très apprécié par la critique (" Je ne pensais pas une femme capable d'une telle composition historique, qui plus est avec ce degré de perfection. Comme tout est parlant dans votre tableau ! Comme votre figure de Psyché est belle et intéressante ! " (La Béquille de Voltaire au Salon, Paris, 1791, Deloynes Collection, n°148, p.422). On notera cependant le courage qu'a eu l'artiste d'exposer au Salon en pleine révolution, un tableau décrivant le courage d'une femme.
En 1793, la peintre épouse l'avocat royaliste Pierre Vincent Benoist, et quitte alors Paris, puis expose de nouveau au Salon de 1795 et s'éloigne de la peinture d'histoire au profit des portraits. Son célèbre Portrait d'une négresse contribue grandement à sa notoriété actuelle. Mais ce sont les portraits officiels qui contribuèrent à son succès d'alors ; un Portrait de Napoléon (Gand Palais de Justice), et d'autres peints pour les villes de Brest, Le Mans ou encore Angers. L'accession au trône de Louis XVIII et la promotion de son mari au titre de Conseiller d'Etat éloigna définitivement l'artiste des pinceaux.
Pour aller plus loin :
Les vitraux de Psyché, un cycle exposé au musée de Chantilly.
Psyché, le mythe dans les collections du château de Chantilly, une émission de Canal académie, la radio des académies et de l’Institut de France.
Lisez ou relisez l’article de la Gazette Drouot sur le fabuleux tableau de Marie Guillemine Benoist : l'audace de Marie Guillemine dans un sujet rarissime une redécouverte.
D’art d’art sur le Portrait d’une femme noire de Marie Guillemine Benoist.